mardi 19 février 2008

Première partie

Non ! Il n’irait pas ! Pour rien au monde ! Tout sauf ça ! Plutôt crever !

Et pourtant, il y allait…

La tête du grand vrombissait.

Il se maudissait, cherchait anxieusement en lui de quoi reprendre la main. Mais rien ne solide ne venait.

Il y allait. Il avançait, malgré lui, comme aspiré, vers ce projet délirant.

Il jetait des regards subreptifs au petit qui marchait à ses côtés. Son visage rougeaud était fermé à double tour. La rage énorme qui, à chaque fois montait en lui pendant les coups, durcissait ses traits.

Le grand fourbissait des phrases dans sa tête pour expliquer au petit qu’il voulait tourner les talons. Mais rien ne sortait. Ses pauvres mots semblaient tellement dérisoires face au visage de pierre du petit.

Les étoiles étaient partout autour d’eux. La montagne, comme toujours, était belle. Mais comme toujours, pris par leurs affaires, ni l’un, ni l’autre ne s’en préoccupait. Ils avançaient, faisant rouler des cailloux hors du sentier.

Le grand levait la tête à intervalles réguliers. En haut de la côte, le chalet, immense, brillait comme un vaisseau spatial.

Que faire ?

Jusqu’à présent avec le petit, il avait trouvé sa place, l’autre proposait et lui suivait. Ca marchait bien comme ça. La magie du petit était bonne.

Mais là, c’était trop. Il dépassait les bornes !

Il voulait tuer des gens ! Et pas seulement des gens, des enfants même !

Que faire ?

On ne pouvait pas tuer des enfants et s’en sortir, c’était impossible.

Le grand ne voulait plus suivre le petit.

Tout était chamboulé.

Il voulait changer de place. Il voulait arrêter le petit qui roulait comme un train fou. Il voulait impulser une autre direction. mais il ne savait pas y faire. Il n’y arrivait pas.

Il bruissait de pensées mais il marchait vers le chalet.

Le petit tout à coup s’arrêta, fouilla dans les poches de son gros anorak rouge et en sortit une longue ficelle qu’il tendit à son ami.

Tiens! Toi tu t’occuperas des trois gosses.

Le grand se raidit. Il résista au mouvement qui le poussait à prendre la corde.
.
C’est le plus facile insista le petit.. Et le grand sans comprendre comment eût la ficelle dans les mains.

Le petit reprit la marche, le grand après l’avoir laissé un peu avancer pour marquer une manière d’opposition, le rattrapa à coup de longues enjambées.

Moi je me tape les parents, c’est dix fois plus hard ! fit le petit.

Le grand laissait pendre la ficelle le long de sa cuisse, n’osant ni la jeter, ni la garder.

Le petit s’était décidé pour ce soir. De le contrecarrer allait faire des histoires terribles, il ne se voyait pas du tout affronter des vagues pareilles.

Bon, suivons. Se dit le grand

Il faudrait faire vite car les enfants auraient peur, ils se débattraient avec leurs petites forces, pleureraient, crieraient. Il faudrait qu’il les bâillonne avec sa main. Et puis ensuite…

Il se sentit comme en sueur malgré le vent frais d’avril.

Non, il ne pouvait faire ça !

Il n’avait jamais tué personne. Alors commencer par des enfants, c’était trop difficile. Il adorait les siens en plus. Même que tous ses proches étaient attendris de voir une grande carcasse comme la sienne être un si bon père.

Il s’arrêta brusquement.

Non !

Lui qui ne disait jamais rien, il parlait. Il s’entendit. Il s’étonna. Il allait trop loin. Mais il était trop tard, il ne pouvait plus rentrer ces mots dans sa bouche. D’ailleurs d’autres encore sortaient.

J’y vais pas

Quoi. ?

J’y vais pas !

Qu’est-ce que t’as ?

Je veux pas tuer des gosses !

Mais, c ‘est le plus facile !

C’est trop grave ! On va se faire gauler c’est sûr ! T’es complètement barjot !

Voilà qu’il insultait le petit maintenant !

J’ai tout prévu, j’te dis ! On risque rien !

Tu parles !

Tu préfères rester dans ta merde ! Faire l’esclave tout te ta vie !

Un temps.

Mais putain…

Le petit se radoucit.

Tu vas voir, si on se fait ce coup-là, on sera tranquille ensuite, on sera plein de thunes. T’aimerais pas gâter tes gosses ? Leur payer des études ? Et pis voyager avec ta femme ?

Le grand faiblit. Ce n’était pas ce que le petit disait, mais la gentillesse du ton qui le faisait mollir tout à coup.

Tu vas pas me laisser tomber ?

Que répondre à ça ?

T’es mon pote non ? La voix du petit tremblait légèrement.

Oui…

Allez viens…

Et le petit entourant la taille du grand, d’un geste presque tendre l’entraîna à marcher.

Et le grand à nouveau avança vers le chalet.

Et s’il demandait au petit la permission de prendre les parents plutôt ? Avec le flingue, ça serait peut-être plus simple ?

Y a qu’à appuyer sur un bouton.

Mais le bruit ! Et le sang qui gicle! Et puis les cris et la peur de ces gens ! La mère si souriante, si sympathique….Il la croisait souvent, elle était pas fière, malgré ce que disait la femme du petit.

Cinq personnes en tout! Ca allait faire un tintouin énorme, il y aurait plein de flics partout! Et des coriaces!

Non ! C’était impossible !

Il pensa à ses enfants tranquillement couchés, la respiration profonde, bien au chaud. Ils ne se doutaient pas du danger que courait leur père. Ils ne se doutaient pas qu’ils pouvaient le perdre.

Il les aimait tellement. Il en aurait pleuré s’il avait pu encore.

Il s’arrêta comme un mulet rétif.

Qu’est ce qu’il y a encore ? soupira le petit.

Je rentre.

Mais…

Je rentre !

Et sans attendre de réponse, il tourna les talons. Il entendit le petit arriver, il n’eut pas le temps de se retourner. Le petit le secoua violemment.

Tu fais chier, tu vas tout gâcher connard !

La colère emporta le grand.

Il poussa un grognement, se saisit du petit et le poussa de toutes ses forces.

Un moment, ils furent en équilibre, puis le petit bascula en arrière et tomba d’un bloc sur le sol.

Sa chute, dans la nuit, parut au grand un claquement énorme.

Il s’en trouva glacé.

Pardon fit-il dans sa tête.

Il ne voulait pas avoir le dessus sur le petit, gagner contre lui, lui faire du mal….

Pardon ne dit-il pas.

Il s’avança vers le petit.

Barre-toi !

Le ton du petit qui se relevait en essuyant les manches de l’anorak était très mauvais. Il écarta les jambes et fit face au grand. Sa main ouverte descendait lentement vers son ventre.

Le flingue...

Le grand esquissa un geste d’apaisement.

Un temps.

Des tas de mots encore se bousculaient dans la cage de sa tête. Leur amitié était détruite…Qu’avaient-ils fait ce soir ? C’était foutu irrémédiable, comment revenir en arrière ?

Mais le grand haussa les épaules et rebroussa chemin.

Le petit était capable de lui tirer dessus.

Coupant directement à travers les buissons, laissant son corps dévaler la pente, le cœur affreusement triste, le grand entendit la voix du petit qui hurlait comme un fou.

Flipette !

A côté de lui, il perçut le froissement des feuilles puis le bruit de quelque chose qui heurtait le sol. Le petit le canardait à coup de pierres.

Il courut jusqu’à chez lui comme s’il fuyait un incendie.

Sa femme était au lit mais elle ne dormait pas ou très légèrement, comme toujours quand il n’était pas là. Elle se releva et vint le scruter alors qu’il s’était écroulé tout habillé sur le divan du salon.

Qu’est-ce qui y a ?

On s’est bagarré avec le petit.

Elle ne dit rien et s’assit sur une chaise. Le grand chercha à lire les réactions sur le visage de sa femme pour voir si c’était vraiment aussi grave qu’il le croyait. Il fut assez soulagé de voir qu’elle prenait la chose plutôt placidement.

Il y eut un temps.

Il veut flinguer tout le monde chez le gros maintenant.

Oui, c’est n’importe quoi.

Il voulait le faire ce soir.

Non ?

Sa femme pour le coup parût surprise.

Oh lala !

J’ai refusé ! Je veux pas tuer des gosses !

Le grand fut étonné et fier, de cette résolution, si forte, qu’il entendait dans sa voix. Décidément ce soir, il se découvrait tout autre.

T’as bien fait, il est barjot ce sale type !

Sa femme n’aimait pas le petit.

Il ne faut plus le voir.

De toute façon …commença le grand, avec une nuance de regret.

Il est fou j’te dis.

Brusquement, il se sentit bien avec sa femme qui le comprenait et ses deux enfants couchés bien au chaud. Sa vie de nouveau lui appartenait. Il irait doucement mais sûrement. Il retrouverait un travail. Et ils prospéreraient tous ensemble, au milieu des montagnes, loin du petit et de sa folie.

Il voulut embrasser sa femme.

Mais la sonnerie du téléphone fit voler en éclat tout cela.

Il laissa sa femme répondre.

C’est le petit. Chuchota t-elle affolée, ses yeux bleus ronds comme des billes.

Allons, ils étaient toujours amis. La joie illumina le cœur du grand.

Allo !

On est des cons.

C’est vrai fit-il soulagé d’un poids énorme.

Des vrais cons…

Ils rirent.

Un temps

Puis le petit :

Il faut qu’on reparle du coup.

Oui, fit le grand.

Aucun commentaire: