vendredi 28 septembre 2007

Henry Miller et nous



" Toujours vif et joyeux!" était sa devise.

Henry Miller, l'homme qui s'est appliqué durant toute son existence à vivre la vie comme elle devrait être. Lawrence Durrell,son ami, disait de lui que dans les années trente , il était le seul à Paris qui s'occupait de son âme.

La plupart des gens moi y compris, passons notre temps à bien autre chose: à s'emmerder les trois-quarts du temps pour gagner de quoi survivre dans le quart restant. Tant pis pour nous.

Bukowski à une recruteuse qui s'étonnait du vide quasi cosmique de son C.V, lui répondit qu'il fallait être très fort pour ne pas travailler.

Ne travaillez jamais écrivait Debord.

OCCUPEZ-VOUS DE VOTRE AME. Nourrissez-la, de lectures, de sexe, d'ivresse, de rencontres, de voyages, DE LIBERTE.

Nous sommes loin, c'est sûr, des slogans exaltants de la droite actuelle, si décomplexée ( elle ose tout, c'est même à ça qu'on la reconnait), difficile d'ailleurs de résister au plaisir de citer quelques unes de ses perles:

"La sécurité première des libertés! "( Non, non ce n'est pas tiré de 1984 de Georges Orwell)

"Travailler plus, pour gagner plus."

Bon, je fais le malin, je suis tranchant dans le discours, mais dans les actes, je suis comme tout le monde, je marche au pas। bien ensubordonné à mon patron, ponctuel, stressé, pressuré, soumis, tremblant et suant...

L'homme que j'étais, je ne le suis plus écrivait Henry Miller,alors qu'il venait de s'affranchir et vivait sa vie enfin comme il l'entendait...

Pour ma part, il fut un temps où je n'étais pas l'homme que je suis devenu.

Je ne vivais pas loin de la place clichy ( je lisais d'ailleurs Quiet days in Clichy d'Henry Miller). JE NE TRAVAILLAIS PAS.

Je m'occupais un peu de mon âme... Alcools, fumette, sorties, spectacles, amours, amitié, discutailleries littéraires, cinéphiliques... Exaltation et tentatives artistiques... Croire qu'on a inventé le fil à couper le beurre....

J'avais un ami alors. Un vrai fils du soleil, talentueux, habité, plein de spiritualité et de splendeur intérieure ...

Sans doute quand nous nous rencontrions, nous narcissions-nous mutuellement, et cela ne contribuait pas pour peu à cimenter notre relation... Mais il y avait autre chose...

Marcher à ses côtês était comme être dans une geste...

L'alchimie de nos caractères faisait que quand nous nous rencontrions, nous dévorions en quelques secondes tout ce qui restait de jour puis la nuit dans son entier et parfois même de grands bouts de la journée suivante. Et là derrière les vitres embuées d'un café, "plein de bière et d'alcools aux premières lueurs ..."( comme chantait J Brel), nous regardions sans les voir,les passants qui se hâtaient au boulot, et nous parlions encore et toujours d'archipels Micronésiens, de cieux intersidéraux et de nos grands invisibles...

A nous Daumal, Ribemont Dessaigne, Blaise Cendrars, Orson wells, LF Céline, Miller...

Nous roulions dans nos bouches pâteuses des projets mirifiques... drôlatiques...

De là sont sortis quelques spectacles éphémères que nous avons eu et que nous avons toujours la faiblesse de trouver merveilleux.

Puis classiquement, le temps est passé....

Nos oeuvres, après avoir comme l'écume grésillé quelques secondes sur le sable, se sont évanouies.

Mon ami est parti en Afrique.

Je me suis rangé et laissé poussé le ventre.
Le quotidien m'a bien rattrapé, bien embastillé, mais comme disait la mère Duras: après tout je mange.

Je n'ai plus relu Miller. Mais j'ai relu Rimbaud, lu Hunter Thomson et bien d'autres encore.... De toute façon quand on a aimé quelqu'un, on l'aime pour toujours...

D'ailleurs, vingt ans après, mon ami que j'avais rangé parmi les figures tutélaires que je consulte dans mon for intérieur, m'a recontacté. Il m'a parlé d'Henry Miller, du moment où dans quiet days in clichy, flânant dans la nuit de Paris, il pense à un ami russe habitant les boulevards extérieurs...

Et ma pesanteur, mes pieds de plomb, un instant, ont fondu et sous l'homme que j'étais devenu j'ai retrouvé celui que j'étais... un instant...

Rien ne change, finalement...

Pourquoi passe-t-on les trois quarts de sa vie à s'occuper d'autre chose que son âme?

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