vendredi 19 octobre 2007

Proust par Beckett






Rédecouverte de cet essai de Beckett sur Proust paru aux Editions de Minuit.

Je l'ai retrouvé sans le chercher dans un des recoins de ma petite bibliothèque et je l'ai repris avec plaisir tant la confrontation de deux tempéraments aussi radicaux est riche en promesses.



Extrêmes chacun à leur manière, ils suivent leur nature et finissent donc par se rejoindre. Voici Beckett, jeune homme, décrivant l'amour chez Proust : " Il n'existe pas dans l'histoire de la littérature une étude de ce désert où règnent la solitude et la récrimination, et que les hommes nomment l'amour, qui soit exposée puis développée avec un manque de scrupule aussi diabolique. A côté, Adolphe n'est qu'une bavasserie allègre, l'épopée burlesque d'une hypersécrétion salivaire..."

ou la tragédie, toujours chez le même :" La tragédie est le récit d'un expiation mais pas l'expiation minable de la violation d'une loi locale... le personnage tragique représente l'expiation du pêché orginel, du pêché éternel et orginel qu'ils ont commis...: le pêché d'être né.."

Ils font tous deux une littérature incroyable, nihiliste, de fin de cycle, de desespoir, d'un monde sans Dieu et ce faisant ils terminent, ils enterrent en grande pompe, quelque chose qui est sans doute la littérature française.

Ils la poussent dans ses derniers retranchements et la tuent en même temps qu'ils la célébrent, qu'ils la portent à des sommets inouïs (ce dernier point est surtout vrai pour Proust). Ils sont la lumière d'une étoile morte. Les grands font table rase.

Tout est dit et bien dit. Qui peut écrire après eux? Comment ne pas être en deça?

La littérature est morte, paix à son âme.

Mais continuons à lire Beckett parlant de Proust, il a 24 ans, il écrit encore en anglais.

Il prévient, en cela fidèle à la ligne du Contre Sainte-Beuve; "On ne trouvera ici aucune allusion à la vie et à la mort légendaire de Marcel Proust, ni aux potins de la vieille douarière... ni à son eau de seltz..."

On est pas dans la pipolisation ici, qu'on se le dise!

Mais de l'humour ça oui et puis de l'autorité, il survole le débat,
va à l'essentiel, style truculent, précis, gorgé de culture classique, mêlant de manière détonnante le cocasse et le trivial aux finesses de l'analyse:"...l'ennui avec sa horde de ministres bien proprets en chapeau huit-reflets...Car sa mémoire est une corde à linge et les images de son passé sont des hardes sales, dûment lessivée...prête à combler ses besoins de réminescence..."

Certes, l'on est parfois submergé sous ce flot d'images toutes plus insolites les unes que les autres, mais après tout, il n'a que 24 ans et même si déjà Beckett perce sous Beckett, il doit encore maîtriser sa verve.

Il est évidemment fort lucide sur la littérature de son temps, évoquant le passage magnifique du coup de fil que donne le narrateur de la recherche à sa grand-mère, il renvoie tranquillement Cocteau à ses coktails: "Après avoir lu la description de ce coup de téléphone...on la sentiment que la voix humaine de Cocteau est non seulement une banalité, mais une banalité superflue".

Bref du style, du nerf, une pensée qui pétarade en phrase cinglantes et belles mais sans forfanterie, ni romantisme juvénile... Un livre finalement préoccupé de la seule chose qui puisse tenter de remplacer Dieu,

LA LITTERATURE.

P.S: C'est d'ailleurs pour cette raison que j'aime bien Sollers, même si l'on peut lui reprocher beaucoup de choses ( ses livres notamment), il est comme ces gens dans les évangiles, qui sont agités, obsédés, assoiffés de l'amour de Dieu, sauf que son objet à lui est la littérature, Sans cesse il la cherche et la questionne. Et ce faisant, il est dedans...

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